Fanny gicquel

des corps qui racontent

Fanny Gicquel performance art

Fanny Gicquel valse entre sculpture et performance. Dans son projet d’exposition Des éclats, elle invite les visiteurs au ralentissement et à la contemplation, à travers des corps figés dans l’espace et des mouvements étirés dans le temps. « Le geste pensé comme un prolongement sculptural est un moyen d’échapper à une forme définitive de monstration des œuvres. » explique la jeune artiste française. Influencée par les écrits de l’anthropologue et sociologue David le Breton, elle explore, avec subtilité, ce qui émane de nos gestes, de nos postures et de nos regards.

La communication non-verbale est un sujet central dans ton travail. En quoi t’attire t-elle?

Mon premier intérêt pour la performance est issu du rapport entre le corps et l’objet-installation. J’interroge la relation qu’ils ont l’un à l’autre et celle qu’ils ont à l’environnement. Par ce biais, c’est assez rapidement que je me suis intéressée à la codification du langage et du comportement. Le geste, l’action et la présence sont des moyens parlant mais qui utilisent un autre outil d’énonciation que la parole. Le silence inclut un rapport différent à la présence et à l’énergie déployée, souvent plus lente que celle qui nous entoure quotidiennement en ville. La lenteur, le geste et le silence sont des caractéristiques qui donne un certain aspect à l’ensemble – proche du rituel.

Pourrais-tu nous raconter ton dernier projet d’exposition Des éclats?

Des éclats a été réalisé dans le cadre de la résidence Les chantiers en relation avec Document d’Artiste Bretagne au sein du Centre d’art Passerelle de Brest. J’ai travaillé trois mois sur place jusqu’à la présentation de cette première exposition personnelle. J’ai orienté ma proposition sur le contexte géographique de Brest en m’intéressant au rapport de l’humain à la mer. L’œuvre poétique Ode Maritime de Fernando Pessoa a constitué un appui littéraire important. J’en ai extrait certains vers évoquant le déplacement mais aussi certaines comparaisons entre le corps humain et l’univers marin. Traduit en langage sémaphorique, un langage non verbal cryptant l’alphabet latin par le mouvement des bras agitant des drapeaux, ces « vers sémaphoriques » se matérialisent sous la forme d’une performance, d’une vidéo et d’une sculpture. D’autres œuvres entre sculptures et objet scéniques sont visibles telles que des filet-drapeaux ou encore des peintures-costumes..

"Un geste peut témoigner d’un état mais peut aussi en cacher un autre. "

Quelle signification se cache dans les assemblages en tissu?

En préparant le tournage de la vidéo, j’ai fait de nombreux repérages dans la baie de Crozon. Puis j’ai réalisé des collages papiers à partir d’une récolte d’images. Les paysages transformés devenaient plus mouvants, incertains et étranges. J’ai ensuite transposé ces collages dans du tissu pour former ces costumes-peintures. Elles sont à la fois des peintures autonomes et des éléments manipulés dans la performance. Elles sont comme des drapeaux tenus à bout de bras. Elles deviennent aussi des aides architecturales, structurent l’espace en permettant de le cloisonner. Certains y voient des formes anthropomorphiques, d’autres des cartographies.

La synergologie ou science des gestes séduit un public de plus en plus large, notamment à travers la multiplication d’ouvrages destinés à faire l’inventaire de tous nos gestes. Par souci de vulgarisation, les significations et explications y sont très souvent douteuses. Face à cela, je me pose personnellement les questions suivantes: Qu’est ce qu’un geste authentique? Y a t-il un sens derrière chaque posture ou expression?

Cette science est régulièrement utilisée comme un outil de décodage dans le cadre social ou professionnel. Utilisée avec dogmatisme, elle peut devenir autoritaire, voir liberticide. De plus, un geste peut porter des significations différentes, parfois opposées d’une culture à l’autre. Un geste peut témoigner d’un état mais peut aussi en cacher un autre. Nous pouvons effectuer un geste dans l’objectif d’une représentation de soi qui n’est pas similaire à notre état intérieur. Il est selon moi l’un des prismes de compréhension du monde sans en être le seul et il serait dommage que cette science enferme par des définitions et des réponses trop cantonnées plutôt que d’ouvrir les champs de compréhension d’autrui.

"Un geste authentique, dans le sens de vrai, est souvent effectué pour ce qu’il apporte, c’est-à-dire que dans la vie si j’ouvre un livre c’est pour lire, chercher une information mais c'est rarement pour la chorégraphie du geste."

Il est intéressant de se questionner sur la nature d’un geste authentique. Peut-être que l’on pourrait émettre l’hypothèse qu’il s’agit d’un geste qui s’étend à une attitude plus générale, une certaine manière d’être et que le corps est en parfaite sincérité avec cela. C’est aussi une question que l’on peut se poser pour la danse. Par exemple, dans une pièce que j’aime beaucoup d’Yvonne Rainer, nommée Carriage Discretness, les interprètes manipulent et déplacent des objets réalisés par Carl Andre. Parfois certains ont l’air très lourds alors qu’ils sont en réalité très légers et inversement. La scène se reconfigure progressivement et la chorégraphie est composée de règles que chacun est libre de s’approprier et d’effectuer comme il le souhaite, avec l’énergie qu’il veut y mettre. Les régles-gestes  tel que marcher, se baisser, ramasser, déplacer, poser, s’asseoir sont effectuées avec la corporalité propre de l’interprète. D’autres artistes chorégraphes comme Jérôme Bel ou Anna Halprin s’intéressent aux interprètes non-professionnels. Ils souhaitent à travers ce choix à parvenir à un geste authentique, à une attitude honnête et non représentée, non jouée. Il est difficile de détacher le geste de l’objectif de sa réalisation. Un geste authentique, dans le sens de vrai, est souvent effectué pour ce qu’il apporte, c’est-à-dire que dans la vie si j’ouvre un livre c’est pour lire, chercher une information mais c’est rarement pour la chorégraphie du geste. En ce sens, il est difficile de parvenir au geste authentique à partir du moment ou on l’extrait de son contexte pour en faire une matière avec un potentiel chorégraphique, mais en même temps, c’est grâce à la chorégraphique et la codification du geste qu’il devient parfois plus réel, plus authentique, plus reconnaissable que dans la vie elle-même. Dans mon travail, j’essaye de faire se rencontrer ces deux types de geste: faire réellement une action ou un geste pour son utilité et parfois faire un geste uniquement chorégraphique sans visée utile. Ainsi les deux en se rencontrant sur le même plan, se brouillent l’un et l’autre pour questionner la valeur du geste et son code.

Fanny Gicquel groupe performance

"J'utilise le temps et l’espace de l’exposition comme une donnée, une matière modulable."

Tu dis explorer le temps de l’exposition et l’espace « comme une matière que les corps viennent sculpter ». Pourrais-tu nous en dire plus?

L’exposition a des caractéristiques spatiales et temporelles qui lui sont propres et qui m’apparaissent comme une donnée à interroger plus qu’un espace qui viendrait recevoir des œuvres réalisées en amont. Mes projets sont toujours étroitement liés au contexte dans lequel ils sont exposés. J’essaye de laisser les œuvres ouvertes à une potentielle reconfiguration selon le lieu d’exposition. S’additionne à cela la performance, fruit d’interrogation et d’expérimentation. J’utilise le temps et l’espace de l’exposition comme une donnée, une matière modulable. En ce sens, dans mes performances j’explore la durabilité, la superposition d’actions dans différents espaces et l’évolution des interprètes avec le public au sein du même espace. J’envisage la performance et la sculpture sous le même prisme, aussi bien dans ma réflexion que dans la réalisation.

Pour aller plus loin :

Barbara Formis, esthétique de la vie ordinaire
Noe soullier, Actions, mouvements et gestes

sculpture platre installation fanny gicquel

Interview: Alice Lahana

Crédits photo: Aurélien Mole

https://www.fannygicquel.com/

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